Les derniers jours de Stefan Zweig - Sorel, Seksik
En étant un peu sarcastique, on pourrait considérer
que le principal défaut de Stefan Zweig a été d’embrasser la cause humaniste à
une époque où l’humain était remis en question compte-tenu des barbaries perpétrées.
Pour cet homme qui fut, rappelons-le, un des plus grands écrivains de la
première moitié du XXe siècle - orientant son œuvre sur la psychologie de ses
personnages – il fallait fuir, au regard de ce qu’il se passait dans le pays
qui l’a vu naître. Mais avec elle, c’est bien l’ensemble de l’Europe qui est en
train de brûler tant au sens propre qu’au sens figuré.
L’exil fut, pour cet homme le dernier recours pour ne
pas sombrer. L’Amérique est alors une destination de choix pour délaisser un
continent fangeux avec ses idées dans la boue . Après avoir goûté au crachin
londonien et quitté New York à contre cœur, c’est au Brésil qu’il trouve un
simulacre de havre de paix, un monde chaleureux. En apparence, du moins, car
Zweig ne néglige pas les horreurs qui se trament de l’autre côté de
l’Atlantique. Et il n’oublie pas qu’il est de la race des
« chancres », des indésirables. Un inférieur parmi tant d’autres.
C’est le 22
février 1942 qu’il se donne la mort en compagnie de sa jeune compagne, Lotte,
livrant son ultime ouvrage, « Le monde d’hier », dans lequel il
évoque une Europe révolue qui ne sera jamais plus.
De cette fin emblématique, Laurent Seksik avait écrit
un roman, « Les derniers jours de Stefan Zweig », publié en 2010.
Dans la foulée, il a travaillé avec Guillaume Sorel sur l’adaptation en
bande-dessinée de cette chronique d’une mort annoncée.
Le résultat de cet album est un petit bijou de
gravité. Sorel retranscrit avec maestria les tourments des âmes égarées que
sont Stefan Zweig et Lotte. Il joue habilement sur les couleurs et leurs
contrastes. Les teintes chaleureuses du Brésil ne parviennent pas à effacer les
ténèbres qui planent au dessus du couple. Les spectres de l’Europe ne sont pas
loin. Après avoir été persona non grata en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis,
il ne s’y trompe pas lorsqu’il affirme à sa femme que le Brésil sera leur
dernière destination :
« Juif en Allemagne, Allemand en Angleterre.
Etranger partout. J’en ai assez d’être l’ennemi du genre humain. » (p.26)
Le couple apparaît comme dégingandé. Zweig est un
sexagénaire qui ne croit plus en l’homme, un humaniste qui a perdu la foi.
Lotte, malgré ses trente printemps est une femme asthmatique aux allures
valétudinaires. Sa jalousie envers l’ancienne femme de Zweig en fait un
personnage éminemment sensible. Ces deux profils sont bancals, ils se
soutiennent l’un l’autre, l’amour faisant office d’unique jambe de bois pour
ces deux estropiés.
Le Brésil possède bien des airs de paradis. La
végétation est folle et colorée. L’insouciance transparaît tant dans le
comportement des riverains qui font la fête que dans les regroupements huppés
de l’intelligentsia locale. Mais tout cela n’est qu’artifice.
Son cœur n’a pas encore cessé de battre que Zweig se
considère comme faisant partie des décimés. Ainsi note-t-il, en évoquant sa
future œuvre posthume :
« J’ai rallié tous les fantômes du passé. Ce
livre rappellera peut-être aux générations futures qu’ici a vécu une race
anéantie. L’homo austrico-judaïcus. » (p.45)
Joignant l’acte à la parole, c’est dans une ultime
étreinte avec sa femme qu’il va rejoindre les hommes de sa trempe, déjà partis
de l’autre côté : Freud, Benjamin, et les autres…
Les derniers jours de Stefan Zweig, Casterman, 88 pages. 16 euros.
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