La vie d'un goldfarmer chinois - Julian Dibbel - Feuilleton n.3



Apparu pour la première fois le 22 septembre 2011, la revue Feuilleton ‘surfait’ sur le registre du mook que des revues comme XXI ou 6 mois, entre autres, avaient su imposer en librairie. Avec un parti pris clairement axé sur le texte (nouvelle, reportage, essai…), et proposant des textes de Georges Orwell, William Langewiesche, Jonathan Franzen ou encore Haruki Murakami cette revue s’est imposée comme étant une des plus dense et intéressante en la matière.

Dans le troisième numéro de ce mook, paru le 5 avril 2012, on pouvait trouver un riche article de Julian Dibbel intitulé ‘La vie d’un goldfarmer chinois’. Dibbel a mené un véritable reportage afin d’en savoir un peu plus sur ce phénomène et d’aller un peu plus en profondeur concernant l’économie liée aux jeux vidéo en réseau et plus principalement à l’argent que peut générer un jeu comme World of Warcraft. Pour l’occasion, il a décidé de suivre un jeune chinois nommé Li. Li est un fermier de World of Warcraft, il passe des heures à tuer des sangliers et glaner des pièces d’or pour le compte de la boîte pour laquelle il travaille. Il sera rémunéré en conséquence de sa rentabilité. L’argent  qu’il aura fourni transitera alors jusqu’en Occident, et ce, en prenant de la valeur, bien évidemment.

« A la fin de chaque service, Li rapporte à son superviseur la butin amassé, et à la fin de la semaine, tout comme ses neuf collègues, il est payé. Pour cent pièces d’or récoltées, Li gagne dix yuans, soit 1,25 dollar, ce qui revient à un salaire de plus ou moins trente cents par heure. Le chef, lui, reçoit au moins trois dollars en vendant ces mêmes pièces à un détaillant en ligne, qui les revendra au client final (un joueur européen ou américain) pour vingt dollars. »

Des entreprises de ce genre seraient légion en Chine, on en dénombrerait des milliers et par-là même, ce serait des centaines de milliers d’employés que ce système génèrerait.



Julian Dibbel en profite pour dresser un panorama du lien entre jeu en ligne et circulation des tractations entre biens virtuels et monnaie réelle, phénomène antérieur au jeu de Blizzard. On retrouvait déjà ce phénomène à travers des jeux comme Everquest et Ultima Online.

Dibbel assimile le gold farming à la production de jouet en Chine.

Li travaille douze heures par nuit sur  son activité de gold farmer, et quand il arrête, c’est son collègue Wang qui prend la relève. Ce dernier a commencé à travailler dans cette entreprise après avoir fini ses études de droit à l’université. Malgré les heures passées à cette activité au combien répétitive et chronophage, il ne manque pas de ressentir quand même du plaisir à jouer.

« En 2001, Edward Castronova, un économiste de l’université de l’Indiana – et, à l’époque, joueur d’EverQuest –, publiait un article dans lequel il décrivait le rythme auquel ses cojoueurs accumulaient leurs biens virtuels, puis utilisaient la valeur de ces biens en argent réel (R.M.T.) pour calculer la richesse annuelle totale générée par toute cette activité en ligne. La somme à laquelle il arrivait, cent trente-cinq millions de dollars, représentait environ vingt-cinq fois la valeur R.M.T. du marché d’EverQuest à l’époque. Mis à jour et plus largement appliqués, les résultats de Castranova indiquent un P.I.B. de l’économie virtuelle actuelle entre sept et douze milliards de dollars : une fourchette qui place le rendement de l population de joueur en ligne au niveau de celui de la Bolivie, de l’Albanie, ou du Népal. »

 Gageons que, depuis, les choses ont évoluées et, la pratique du jeu massivement multijoueur s’étant sérieusement démocratisée – à l’image des millions de joueurs de WOW –, l’argent représenté doit être bien plus conséquent.


Cet argent virtuel a donc généré du travail réel et de grande amplitude. Cependant, le travail des gold farmers est plutôt mal perçu par les vrais joueurs. Ces derniers ne manquent d’ailleurs pas de lancer de véritables fatwas à l’égard des professionnels du jeu en ligne. Pour eux, pas de doute, « les gold farmers chinois doivent mourir ». D’un autre côté, face à l’explosion de cette économie parallèle, des mesures ont été prises afin de sanctionner les farmers, les punitions pouvant aller jusqu’à l’exclusion du jeu. Or une telle sanction peut se révéler conséquente pour le ‘travailleur’ de WoW:


« Pour les farmers, le prix à payer pour l’expulsion de WoW peut-être exorbitant. Il signifie, tout au moins, une baisse temporaire de la productivité, parce que le personnage doit être à nouveau entièrement façonné, mais aussi la perte de tout le butin accumulé sur le compte de ce personnage. Vu les enjeux, certaines entreprises chinoises ont réalisé que le meilleur moyen d’échapper aux poursuites des farmers est de faire en sorte qu’il soit difficile de distinguer les professionnels des autres joueurs. »


Certaines firmes de cet acabit sont en outre spécialisées dans le power leveling, ce système « permet aux clients de sortir de la routine de World of Warcraft, sauf qu’au lieu de fournir les armes et l’argent pour le faire, il le fait à leur place. Confiez votre compte, mot de passe, et environ trois cent dollars, et retournez à votre vraie vie pour un temps ». Ce système possède également la qualité d’occasionner moins de fermeture de compte. Cependant, ce système de jeu ne plait pas tellement aux employés qui doivent souvent composer avec un personnage qu’ils ne connaissent pas et ainsi s’en acclimater.


A travers son intrusion dans le milieu des gold farmers chinois, Julian Dibbel livre un reportage assez fascinant qui fut toutefois publié pour la première fois en juin 2007 dans le New York Time Magazine. On peut facilement imaginer qu’en 5 ans les choses ont quelque peu évoluées, cependant, cet article est agrémenté d’une superbe cartographie de l’économie virtuelle (rapporté par la banque mondiale en 2011). On pourra donc retrouver l’intégralité de cet article dans le Feuilleton de Printemps toujours disponible chez les bons libraires.


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