Éloge de la masturbation - Philippe Brenot



Ah, la masturbation, sujet tabou, et pourtant pratique au combien répandue... Paru il y a maintenant une dizaine d'années, cet Eloge de la masturbation  tend à réhabiliter voire même vanter cet acte devenu somme toute assez commun en ce début de XXIe siècle mais dont l'approche a considérablement évolué au fil du temps.



La sexualité ayant été tabou des siècles durant, on ne s'étonnera pas du fait que l'autoérotisme et sa manipulation la plus fétiche eurent droit à des réprimandes bien corsées. Terme vraisemblablement apparu pour la première fois sous la plume de Montaigne, la masturbation va devoir son caractère impie à la découverte par Leeuwenhoek en 1677 de spermatozoïde dans le liquide seminal masculin. De fait, l'intégralité des médecins du XVIIIe siècle visera à condamner cette pratique, Brenot évoque ainsi une croisade "légitimée par une très grande peur, celle de la fin du monde, et le fantasme de la destruction de l'humanité, lorsque l'on prit conscience que le sperme était vivant, qu'il contenait des êtres humains, et que sa perte pouvait confiner au génocide".

Cela commence principalement en 1758, lorsque Tissot, illustre médecin de Lausanne, fait paraître un ouvrage intitulé Essai sur les maladies produites par la masturbation dans lequel l'auteur vilipende fermement un procédé qui se présente sous deux termes: "manustupration (de manus, la main, et stupratio, action de souiller) et masturbation (du latin masturbatio, mais peut-être grec mastropeuein, prostituer)". Pour Tissot, la masturbation est une maladie qui attaque les jeunes et les libidineux, un mal qui "épuise les forces et tarit les humeurs, qui assèche le corps et l'âme". Afin d'illustrer son propos, Tissot ne manque d'ailleurs pas de conter l'histoire tragique d'un de ses patients s'adonnant à ce péché. Dès lors, le médecin suisse tend vers l'affabulation, dressant un portrait apoplectique et mourrant de son patient qui finira par succomber. Mauvais diagnostique ou pure invention? Il n'en reste pas moins que le trépas du bonhomme en question a logiquement peu à voir avec la masturbation.

                                 

Le texte de Tissot fera non seulement des émules, mais suscitera le respect de nombreuses élites à commencer par Voltaire et Rousseau, mais son influence sur les Lumières ne s'arrête pas à ces seuls auteurs puisqu'en 1765, l'Encyclopédie consacre un article de six colonnes à cette pratique honnie.

Philippe Brenot note d'autre part une différence entre la masturbation et l'onanisme. Si l'on a une idée assez précise du premier terme compte tenu de son étymologie, il en va autrement du second. L'onanisme renvoie à un épisode biblique concernant Onan, un homme qui, refusant de faire un enfant à sa belle-soeur, libère sa semence à même le sol, une première version du coït interrompu en quelques sortes. Onan commet ainsi un sacrilège puisqu'il tue sa progéniture dans l'oeuf.

En 1838, le docteur Lallemand dans la plus pure veine de Tissot, condamne également la masturbation, mais là où le médecin lausannois y voit une perversion du corps et de l'âme, Lallemand y voit un mal politique capable de ronger la cohésion familiale et sociale: "La masturbation mine le corps social, elle relâche ou détruit le lien conjugal, elle attaque par conséquent la famille, base essentielle de toute société." Quelques années plus tard, le docteur Debourge, lui, considère que "cette pratique abominable a mis à mort plus d'individus que ne l'ont fait lesplus grandes guerres, jointes aux épidémies dépopulatrices."

                              

Ce ne sont là que quelques un des exemples les plus frappant de la diabolisation à laquelle a été sujette la masturbation. La déculpabilisation de cette pratique passera principalement par Freud et les psychanalystes du début du XXe siècle, comme la sexualité dans son ensemble.

D'un autre côté, Philippe Brenot, qui ne manque pas de signaler au tout début de l'ouvrage qu'il s'est adonné sans retenu au sujet en question, ne manque pas de faire référence, dans le dernier tiers de son ouvrage, aux écrivains qui se sont laissé aller à cette pratique, que ce soit pudiquement ou compulsivement. Ainsi y apprend-on que Diderot vante l'onanisme là où le marquis de Sade, durant ses trois décennies d'incarcération en fera un art de vivre, inventant par là même les termes 'masturbateur' et 'masturbatrice'.

Eloge de la masturbation est donc une lecture riche, presque salvatrice, permettant de mieux comprendre comment la masturbation était perçue dans les temps reculés. Il n'en reste pas moins l'éloge d'une pratique dont l'auteur ne manquera finalement pas d'énumérer, selon lui, tous les bienfaits.

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